Différentes entreprises américaines se sont lancées dans une course à l’hydrogène. L’objectif ? En savoir plus ici.
La prochaine révolution énergétique aura-t-elle lieu dans une décharge de Los Angeles ?
By GQ France | July 31, 2020
Différentes entreprises américaines se sont lancées dans une course à l’hydrogène. L’objectif : réussir à commercialiser une technologie capable de transformer n’importe quel déchet en énergie propre.
Une pile tentaculaire de 130 millions de tonnes de déchets, semblable à un ziggurat, traverse les collines de l’Est de Los Angeles, installée comme une sorte de monument symbolisant les excès de l’Amérique. Les terrains que l’on appelle Puente Hills n’ont pas recueilli de nouveaux déchets depuis près de dix ans mais ils constituent toujours la plus grande déchèterie des Etats-Unis et demeure un producteur important de gaz à effets de serre. Chaque minute, Puente Hills rejette 850 mètres cubes de gaz d’enfouissement. En l’occurence, un mélange nocif de dioxyde de carbone et de méthane produit par les microbes qui dévorent les matières organiques de la décharge.
La majeure partie des gaz en question sont capturés grâce à un système sous-terrain de canalisations et sont utilisés pour produire de l’électricité pour 70.000 logements. Mais pour Jean-Louis Kindler, PDG et fondateur de la start-up Ways2H, tout cela reste du gâchis. S’il tout cela ne dépendait que de lui, les endroits comme Puente Hills n’existeraient plus, ou pas comme aujourd’hui en tout cas. Il souhaite utiliser les déchets du monde entier comme matière première pour la production d’hydrogène, carburant durable du futur qui pourrait fournir de l’énergie aux logements, aux avions, aux voitures et aux voitures volantes. “Il y a tant de déchets disponibles, que ce soit le plastique, les déchets ménagers ou les déchets médicaux, souligne Kindler. Toutes ces choses que nous avons du mal à transformer sont remplies d’hydrogène.”
Kindler est né en France et a passé la majeure partie de sa carrière à travailler sur des technologies de production d’énergies propres en Asie. Aujourd’hui, vous pouvez le trouver à Long Beach, à une heure de route du sud de la décharge de Puente Hills, là où est installé le siège de Ways2H. Kindler a fondé cette société afin de commercialiser une technologie capable de transformer les déchets en hydrogène. Une technologie qu’il a lui-même aidé à développer au Japon il y a près de deux ans. En partenariat avec Japan Blue Energy Company, Kindler a développé un système qui permet d’extraire l’hydrogène de la plupart des déchets, que ce soit des boues d’épuration ou des vieux pneus. Le mois dernier, il a même annoncé que Ways2H avait collaboré avec des ingénieurs afin de construire la toute première station de transformation de déchets en hydrogène de ce type en Californie.
La technologie développée par Ways2H est similaire à celles des méthaniseurs qui couvrent déjà le territoire américain et transforment les déchets. Mais quelques points-clé différent tout de même. Dans un premier temps, les déchets sont triés afin d’éliminer les matériaux dépourvus de carbone ou d’hydrogène (par exemple du verre ou des métaux), puis ils sont séchés et découpés en petits morceaux d’environ 2 à 3 centimètres. Ensuite, les déchets passent par une chambre d’évaporation où la chaleur dépasse les 530 degrés afin de produire un gaz de synthèse (mélange d’hydrogène, de méthane et de dioxyde de carbone) qui peut être utilisé comme carburant ou subir un processus de raffinement supplémentaire.
Le système de Ways2H augmente la concentration d’hydrogène dans le gaz de synthèse en le mélangeant avec de la vapeur. Le résultat : un mélange qui contient à peu près moitié d’hydrogène et moitié de dioxyde de carbone. L’hydrogène est ensuite extrait grâce à un système d’adsorption à pression modulée. Un réservoir est rempli d’un matériau solide qui absorbe comme une éponge le dioxyde de carbone.
“La gazéification fonctionne très bien avec des matières premières telles que le charbon ou les copeaux de bois, explique Kindler. Mais lorsque les matériaux sont plus complexes et parfois indéterminées, comme c’est le cas avec les déchets municipaux, la procédé est moins prévisible et il est beaucoup plus difficile de contrôler la température du réacteur.”
Il nous explique que l’une des principales innovations apportées par le système de Ways2H est la suivante : utiliser les petits morceaux de céramiques qui sont introduites dans la chambre d’évaporation avec les déchets pour réguler la température. Ces “conducteurs de chaleur” aident à stabiliser la température du réacteur et permettent aux opérateurs de fermer les yeux sur le type de déchets à traiter. “On peut tout prendre, tant que ça contient du carbone et de l’hydrogène”, dit Kindler.
Pour chaque tonne de déchets traitée par la station d’essai de Ways2H, Kindler s’attend à produire environ 45 kilos d’hydrogène “vert”, neutre en carbone. Même si le système produit au passage du dioxyde de carbone, le procédé est considéré comme neutre en carbone car les quantités de CO2 rejetées par la station équivalent aux quantités qui étaient présentes dans les matières premières. Mais Kindler explique qu’il serait facile d’intégré un système de capture ou de stockage de carbone dans la station, ce qui lui permettrait de témoigner d’un bilan carbone négatif.
Kindler nous explique que la construction de la station Ways2H devrait être terminée d’ici à la fin de l’année et que cette dernière devrait commencer à fournir de l’hydrogènes à des clients au début de l’année 2021.
En cas de succès, il s’agirait de la première station de traitement de déchets produisant de l’hydrogène de cette façon aux Etats-Unis. Mais Ways2H est loin d’être la seule entreprise à être entrée dans cette course. Une entreprise appelée SGH2 construit également sa station de transformation de déchets en hydrogène en Californie. Elle utilise un système similaire pour produire un hydrogène vert et ultra pur. D’autres entreprises, comme la start-up Standard Hydrogen se penchent sur d’autres procédés chimiques pouvant permettre de produire de l’hydrogène de manière propre.
Plus tôt cette année, Standard Hydrogen, entreprise basée en Floride, a d’ailleurs dévoilé un prototype de son réacteur capable d’extraire de l’hydrogène à partir de sulfure d’hydrogène, un produit extrêmement toxique produit lors du raffinement du pétrole et des gas naturels. Le réacteur en question met en oeuvre une version modifiée du procédé Claus, une technique centenaire d’extraction du soufre du sulfure d’hydrogène. (Une grande partie du souffre récupéré est ensuite utilisé pour fabriquer de l’acide sulfurique, qui sert à la production de tas de choses comme des colorants ou des explosifs.) Avec le procédé Claus, l’hydrogène est perdu car il se mélange à l’oxygène du réacteur et forme de l’eau. Mais avec la méthode de Standard Hydrogen, l’oxygène est évacuée du réacteur et l’on peut récupérer à la fois l’hydrogène et le souffre.
L’entreprise s’était au départ focalisée sur l’extraction de l’hydrogène du sulfure d’hydrogène produit dans les raffineries pétrolières, mais le PDF Alan Mintzer explique que le réacteur peut être utiliser pour traiter toute sorte de déchets. Il s’agit de mélanger l’hydrogène à du souffre liquide. Cela créé du sulfure d’hydrogène quand le souffre entre en contact avec l’hydrogène contenu dans les déchets. (Le souffre se lie aussi au carbone et à d’autres composants, mais Mintzer explique que ces sous-produits ne sont pas toxiques qu’on peut facilement s’en débarrasser.) Le réacteur extrait l’hydrogène et fait ensuite circuler de nouveau le souffre pour exploiter plus de déchets.
Pour le moment, le réacteur de Standard Hydrogen existe uniquement sous la forme d’un prototype cylindrique de la tailler d’un extincteur, mais Mintzer affirme que son entreprise est en cours de négociation avec des partenaires qui sont intéressés par le système ou par l’hydrogène produit par le système. Si les négociations se passent bien, il envisage que la première station Standard Hydrogen soit lancée début 2021. “Les études de faisabilité, les essais pour voir si la chimie fonctionne, c’est terminé, déclare Mintzer. Ça marche, c’est une réalité aujourd’hui.”
La technologie a beau fonctionner, les différentes start-up qui sont entrées dans cette course à l’exploitation de la plus grande déchèterie du monde doivent encore faire face à l’ultime juge de leur travail : le marché. Depuis des décennies, le principal obstacle au développement d’un hydrogène vert aux Etats-Unis a été économique et politique, pas technologique.
Au début du 21e siècle, l’hydrogène fut envisagé comme un moyen de réduire les dépenses américaines en importation de pétrole. L’administration avait même donné le nom de “carburant de la liberté” (Freedom Fuel) à cette source d’énergie. Mais la révolution liée à la fracturation hydraulique aux Etats-Unis a permis d’obtenir du gas natural pas cher et en abondance. En comparaison, les programmes de production hydrogène à destination des foyers ne faisaient pas le poids. L’idée a été tuée dans l’oeuf.
“L’argument qui consistes à voir l’hydrogène comme un moyen d’être indépendant du point de vue des énergies ne tient plus aujourd’hui, explique Daniel Simmons, secrétaire-assistant au Département de l’Energie, en charge de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables. Mais l’hydrogène a toujours été un carburant flexible qui peut être obtenu à partir de différentes sources. Cette flexibilité rend l’hydrogène toujours attractif de nos jours.”
Pratiquement l’intégralité de l’hydrogène produit aujourd’hui aux Etats-Unis est dit “gris”, car il est produit à partir d’énergies fossiles comme le gaz naturel. L’hydrogène est également produit par électrolyse, une méthode qui utilise l’électricité pour séparer les molécules d’oxygène et d’hydrogène de l’eau. L’électrolyse peut être une technique neutre en carbone si l’électricité est produite par des sources d’énergie renouvelables comme le vent ou le soleil. Mais ce type d’hydrogène vert coûte encore environ cinq fois plus cher que la production d’hydrogène gris. “Il faut vraiment réussir à baisser les coûts, explique Simmons. Des projets à très grande échelle pourraient permettre d’atteindre cet objectif.”
Plus tôt cette année, le Département de l’Energie a annoncé un financement de 64 millions de dollars dans le cadre de son programme H2@Scale, qui a pour but de soutenir la recherche et le développement de projets d’hydrogène vert. Le financement en question entend se consacrer à différents sujets, notamment la fabrication de réservoirs de stockage pour l’hydrogène. Mais en ce qui concerne la production d’hydrogène, le Département de l’Energie reste focalisé sur la possibilité d’améliorer les techniques d’électrolyse.
“Des électrolyseurs sont déjà en train d’être déployés, dit Sunita Satyapal, membre du Département de l’Energie des Etats-Unis. Pour réduire les coûts, nous avons besoin d’améliorer leurs performances, car ce qui coûte cher c’est l’électricité.”
Selon Satyapal l’efficacité des électrolyseurs est actuellement d’environ 60%, mais le Département de l’Energie veut que les entreprises trouvent un moyen de passer à 70%. Dans le même temps, des représentants de l’agence entendent doublé la durée de vie moyenne des électrolyseurs pour atteindre environ 10 ans de fonctionnement en continu. Un chiffre nécessaire pour assurer la compétitivité avec la production d’hydrogène gris et l’extraction de gas naturel.
Le Département de l’Energie mise sur les électrolyseurs dans l’espoir de généraliser la production d’hydrogène, mais pas seulement. Il investit dans d’autres directions, notamment les technologies de production d’hydrogène à partir de déchets. L’an passé, l’agence a offert 1 million de dollars à des chercheurs de l’université d’Etat de l’Oregon pour développer un réacteur se servant de microbes pour produire de l’hydrogène à partir de déchets alimentaires et de copeaux de bois.
“L’approche de production d’hydrogène à partir de déchets serait spécifique aux régions. Elle serait limitée en fonction des quantités de déchets disponibles, explique Simmons. Au contraire, avec l’électrolyse, la source principale d’énergie est l’eau, qui est bien plus disponible de manière générale. Néanmoins, des opportunités régionales existent.”
Tout le monde n’est pas convaincu que les solutions liées à la production d’hydrogène à partir de déchets participera à la généralisation de la production d’hydrogène à grande échelle aux Etats-Unis. Thomas Koch Blank, spécialiste de l’industrie et du transport lourd au Rocky Mountain Institute, un institut de recherches en énergies propres, affirme que la disponibilité des déchets constitue un obstacle majeur.
Il prend les exemples de la Suède et de la Norvège, deux pays qui ont investi massivement dans des systèmes de production d’énergie à partir de déchets et ont rapidement fait face à une pénurie de déchets. A l’heure actuelle, les deux pays importent des déchets d’ailleurs en Europe pour fournir leurs systèmes de production d’énergie à partir de déchets.
“Je ne dis par que c’est une mauvaise idée, déclare Koch. C’est important d’avoir une solution pour gérer les flux de déchets. Mais j’ai du mal à imaginer que cette source d’hydrogène puisse être vraiment pertinente à grande échelle.”
Ni Kindler ni Mintzer ne prétendent que leur technologies seront suffisantes pour répondre à la demande grandissante en hydrogène. Ils envisagent plutôt leur technologie comme un complément à d’autres techniques de production d’hydrogène. Tout ça en permettant aux Etats-Unis de s’attaquer à ses montagnes de déchets qui posent des problèmes. “Nous avons désespérément besoin de plus d’hydrogène, et en même temps nous avons besoin de se débarrasser des déchets qui s’empilent, explique Kindler. La production d’hydrogène à partir de déchets constitue une filière complémentaire de la production d’hydrogène par électrolyse. Chaque mode de production d’hydrogène doit pouvoir coexister.”
Via WIRED